Le karaté jouit d’une triste réputation (malheureusement justifiée dans de nombreuses pratiques) ayant pour conséquence un attrait plus que limité auprès des femmes.
Son image en Occident, dont on peut trouver l’origine dans la pratique telle qu’elle a été intégrée et ramenée par les soldats américains après guerre, ou dans les films japonais (de Sonny Chiba par exemple) que l’on a pu découvrir dans les années 60 et 70, conforte sa réputation d’un art martial brutal, discipline de prédilection de voyous sans foi ni loi.
Par ailleurs, la popularité des films de kung-fu, qui mettent souvent en opposition de valeureux Chinois opprimés par des Japonais cruels et sans honneur, n’a pas amélioré cette image. La pratique du karaté en France a donc longtemps été l’apanage de clubs virils, mettant en avant la force, le muscle, la violence. Venant d’une société tout aussi patriarcale que la nôtre, les femmes ne pouvaient trouver d’intérêt à cet art martial, contrairement au tai-chi par exemple, qui passe en France pour une simple discipline gymnique, voire même au kung-fu dont les vêtements colorés paraissent plus féminins aux yeux occidentaux.
Et pourtant… La pratique du karaté traditionnel fait primer l’esprit, que l’on applique à l’exécution précise de la technique travaillée à chaque entraînement, les capacités physiques du corps ne venant qu’en dernier. Avec une telle philosophie, toute personne, quel que soit son sexe ou son genre, ou sa forme physique, peut pratiquer le karaté. Mais il n’a pas été compris ainsi à son arrivée en Occident.
Paradoxalement, c’est par son versant sportif que les femmes ont été intégrées. En effet, débarrassé de ses oripeaux virilistes, au profit d’une pratique en compétition, donc encadrée, avec des catégories bien définies, et une séparation des sexes, les femmes ont pu concevoir que le karaté était aussi pour elles. On a vu alors émerger une première génération de karatékates, qui ont ensuite encouragé de nouvelles générations de petite filles ou de jeunes femmes à se lancer dans l’aventure.
Il faut également mentionner le rôle des féministes dans l’appropriation des arts martiaux par les femmes. Le mérite en revient tout d’abord aux suffragettes anglaises qui ont adopté le jiu-jitsu dans leur pratique politique (on l’a oublié, mais il y avait un courant violent chez les suffragettes anglaises) et leur volonté d’en découdre avec la police lors des manifestations pour réclamer le droit de vote.
L’indépendance des femmes passait donc aussi par leur capacité à se défendre. Du jiu-jitsu au début du 20e siècle, nous passons au karaté dans les années 70 et 80. Les films là encore ont joué un rôle non négligeable, avec l’apparition d’actrices martiales comme Cynthia Rothrock (qui fut championne du monde de karaté) qui ensuite ont créé des écoles de self-defense pour les femmes.
Les liens entre sport, fiction et mouvements politiques ont permis alors une véritable diffusion à grande échelle du karaté, sous toutes ses formes. Et surtout, le karaté s’est ouvert à la “femme de la rue”, celle qui n’est pas forcément en capacité de balancer son pied à 2 mètres du sol, de faire un grand écart facial sans se déchirer les aducteurs, ou de casser des briques avec son petit doigt.
Cette évolution a donc permis au karaté de revenir à ses racines philosophiques : il est fait pour (tous et) toutes, quelles que soient les capacités physiques des pratiquantes.
Une femme qui pratique le karaté peut y trouver de nombreux bienfaits : la capacité à se défendre contre des agressions, y compris dans sa partie psychologique : paniquer moins vite, garder son calme, quitter une situation de danger sans avoir à se battre etc. Ces réflexes étant également très appréciables dans n’importe quelle situation de conflit, qu’il soit familial ou professionnel par exemple. Je peux même écrire que cela peut servir à progresser dans sa carrière : l’affirmation de soi permet de prouver sa capacité à prendre des décisions difficiles, à gérer les conflits d’équipe, et donc à manager dans des environnement hostiles ou stressants.
En se concentrant sur sa technique, on reprend également possession de son corps. En effet, les femmes sont depuis longtemps dépossédées de leur corps : formaté par les médias et la publicité, objet exclusif de fantasme masculin, violenté au quotidien par la pression sociale ou plus prosaïquement au sein de leurs familles, la pratique du karaté permet aux femmes de se réapproprier leur corps, de prendre conscience de la puissance de leurs muscles, et de leurs mouvements, et d’abandonner les images de faiblesse et de mollesse qui leur sont renvoyées au quotidien.
Le travail sur l’esprit et sur le corps est donc bénéfique à double sens : quand on est bien dans son corps, on est bien dans sa tête (et inversement).
Les premières générations de karatékates, qui ont débuté dans le sport et la compétition, l’ont bien compris, et c’est pourquoi on les voit aujourd’hui ouvrir des clubs de self-defense, ou des associations d’aide aux femmes victimes de violence, comme Laurence Fischer, triple championne du monde de karaté, qui a créé “Fight for dignity”, qui aide les femmes dans tout le pays à se reconstruire après avoir subi des violences (souvent intrafamiliales)
Ces qualités du karaté sont généralisables à toute population minoritaire et opprimée, et c’est pourquoi il est important que des clubs comme Niji-Kan existent, afin de proposer aux personnes LGBT+ un lieu où ielles peuvent se sentir en sécurité.
Mais les femmes étant la “minorité majoritaire silencieuse”, on a souvent tendance à oublier qu’il faut aussi créer des “safe spaces” exclusifs aux femmes, où elles peuvent elles aussi pratiquer entre elles, en sécurité, sans craindre les remarques et les quolibets, ni se faire écarter par des populations plus habituées à se regrouper pour s’affirmer.
Mesdames, n’hésitez pas à investir du temps et de l’énergie dans un cours de karaté, demandez à créer des sections 100% féminines, pour pratiquer en toute sérénité, et vous épanouir physiquement et mentalement !
Marie, mars 2024
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