Il y a deux ans, j’ai eu ma ceinture noire

Michel, membre de Niji-Kan, a posté ce message sur Facebook,  à propos de l’obtention de sa ceinture noire. Il y parle de son rapport au karaté. Avec son autorisation, nous partageons ses mots :

Il y a deux ans, j’avais ma ceinture noire.
Et oui!
Déjà deux ans!

Ce ne fut pas sans mal d’ailleurs.
Quand j’ai commencé le karaté, mon objectif était de pratiquer une discipline qui me plaisait avec des personnes qui l’appréciaient.

Je me suis essayé à plusieurs sport.
On m’en a même interdit certains.
Le karaté était idéal: c’était très proche de l’art martial que je pratiquais vingt ans auparavant.

Je ne visais pas la performance.
Je ne voulais pas faire de compétition.
Mon objectif était beaucoup plus intérieur.

C’est d’ailleurs la différence entre un sport de combat et un art martial: Dans un sport de combat, on arrive au maximum de ses capacités vers les trente ans alors que dans la pratique d’art martial, on s’améliore jusqu’à la fin de sa vie…

Je recherchais avant tout l’équilibre.
Et je voulais par dessus tout reprendre le contrôle de mon corps comme je prenais le contrôle de ma vie.

Lorsque j’ai commencé à pratiquer chez Nijikan, j’ai progressé très rapidement.

J’ai vite compris, bien que je m’en doutais, que c’était une discipline où l’on ne peut pas se comparer aux autres.
Nous recevons la même formation mais chacun a une pratique différente.
Certains utiliseront plus volontiers des techniques de poings et d’autres leurs pieds.
Certains seront souples et rapides et d’autres forts et résistants.
Chacun a ses faiblesses et ses forces qui lui sont propres.
Il y avait tant de diversité dans cet art, tant de possibilités.

La subtilité et l’élégance dans la pratique m’attiraient beaucoup plus que les combats.
Aussi, appréciais-je d’avantages les katas.
C’est peut-être d’ailleurs ce qui m’a poussé à faire de la danse plus tard.

J’ai évolué en tant que karatéka.
Mon parcours a été ponctué de moment d’extrême motivation puis de relâchements, pour ne pas dire de périodes de lassitude.
Mais j’y reviens toujours parce que c’est toute même un repère dans ma vie chaotique.

Là où j’ai le plus appris, je crois, c’est lorsque j’ai échoué à la ceinture marron.
Cela m’a permis de me recentrer.

Je me souviens de mon Sensei qui me demandait si ça allait alors qu’il me tendait ma feuille d’examen.
Le pauvre était beaucoup plus désolé que moi.
Et là, je me suis senti bien parce que je savais que même si je n’avais pas eu mon grade, le bénéfice que m’apportait ce résultat était beaucoup plus salutaire qu’une réussite où je ne me serais probablement jamais remis en question.

Je l’ai obtenu trois mois plus tard.
Tout avait été très vite auparavant et je sentais pour la première fois que je la méritais.

Ensuite, je suis resté quelques années avec cette ceinture.
Je savais que l’étape suivante serait la ceinture noire mais je n’étais pas pressé.
Ce n’était pas une course!

Un jour, un groupe de ceintures marrons s’est formé pour préparer le premier dan…
Je m’y suis donc greffé, non pas que j’étais motivé mais ma présence en motivait certains.

J’avais planifié, juste avant, un voyage au Vietnam, le pays de mon père.
Je préparais ce périple depuis plus d’un an et il était hors de question que j’y fasse l’impasse.

Je me suis donc inscrit à l’examen.

Et je suis parti à l’autre bout de la planète.

Lors de mon voyage, je comptais bien réviser mais les paysages somptueux m’ont assez rapidement détourné de mes bonnes résolutions.
De toute façon, la seule chose qui me faisait peur, c’était le vocabulaire.
Il faut savoir que mon association représente un style minoritaire et que chaque style a son propre vocabulaire.
Et pour passer l’examen, il faut parler Shotokan, l’école la plus répandue en France.
Par chance, son vocabulaire n’est pas extrêmement varié.

Le passage de la ceinture noire est un examen fédéral où tous les candidats du département passent devant différent jurys.
Je n’en détaillerai pas les épreuves pour les non initiés mais il n’est pas aussi simple que l’on pourrait croire.
Un peu comme en fac, il y a des modules.
Il y a des épreuves en solo, en duo et des combats.

Je suis donc arrivé au centre d’examen.
Nous étions quatre du club et la nervosité était tangible.
Nous étions bien plus d’une centaine de candidats.
La majorité était très jeune et, par chance, j’avais passé un age canonique.
Je me suis donc retrouvé avec des personnes de ma génération.

Nous sommes passés par groupes de deux ou quatre et les épreuves ont débuté.

Je précise que j’avais atterri la veille après un voyage en avion de seize heures.
Ça vous laisse imaginer l’état de fatigue dans lequel je me trouvais.

Nous avons donc commencé les épreuves et je suis passé dans le premier groupe.
Malheureusement, je n’avais aucun moyen de voir ce que faisaient les autres, ni de copier mes compagnons…

Contrairement au président de jury qui avait été très encourageant, mon premier examinateur n’était pas du tout sympa.
Il parlait un dialecte que la fatigue rendait incompréhensible à mes oreilles.

Et lorsque je lui ai demandé de répéter, il s’est mis à hurler après moi:
“Qu’est ce qu’il y a? Tu es sourd?”

Je crois qu’il n’a pas aimé que je lui réponde
“Oui, de l’oreille gauche…”
Ensuite, à chaque fois qu’il nous donnait des consignes, il se plaçait à cinquante centimètres et me hurlait les consignes.

Les jurys suivants étaient plus agréables mais je n’arrivais plus à me concentrer.

Pendant quelques heures, la journée me semblait interminable.
L’attente était longue et le froid se faisait sentir.

Parfois, je regardais les autres examinés.
Ils étaient majoritairement beaucoup plus jeunes que moi.
Certains même avaient la moitié de mon âge.

J’ai réussi quelques épreuves mais ce ne fut pas suffisant pour obtenir ce premier dan.
Ce jour là, un quart des candidats avait été recalé.

Je me souviens que mes amis de Nijikan pleuraient en sortant.
Ils avaient tous réussi et étaient désolés pour moi.
Je ne comprenais pas pourquoi ils se mettaient dans un tel état alors qu’en fin de compte je n’y étais allé que pour les soutenir.

J’avais réussi la moitié des épreuves, dont les combats que je n’aimais pas, et il me restait le reste à passer deux mois après.

En arrivant au club après cet échec, je me suis retrouvé à expliquer l’inexplicable.
Je prétextais que j’étais fatigué et que j’avais eu un jury récalcitrant et agressif en face de moi.
C’était vrai!
Mais la vérité, c’est que je ne tenais pas plus que cela à l’avoir.

Lorsque je l’ai repassé, j’étais bien.
J’étais reposé.
Mes techniques étaient propres et dynamiques.
J’ai même été sollicité pour des combats, bien que je n’avais pas à repasser l’épreuve.
La chose curieuse, c’est que mon adversaire Shotokan me semblait incroyablement lent.
Au point où j’arrivais à réaliser des techniques que je n’aurais jamais réussi à placer en temps normal.
Ou bien était-ce moi qui était plus rapide…

Sans grande surprise, j’obtins ma ceinture noire.

J’avoue que si je ne l’avais pas eu, j’aurais certainement eu des difficultés à revenir au club.
Bêtement, j’avais eu peur de décevoir.

Par la suite, les cours m’ont semblé plus léger.
On ne me posais plus la question de la ceinture noire.
Je pratiquais désormais sans pression, ni contrainte.

Depuis deux mois, je ne vais plus au cours.
Je crois que je comprends mieux l’idée d’évolution tout au long de sa vie.
Depuis que mes douleurs plantaires sont devenues insupportables, j’essaie de me réapproprier mon corps.
Cela fait des années à présent que je pratique dans la douleur et que celle-ci s’étend de plus en plus.
Alors je m’accorde un peu de repos…

J’en profite pour faire le point.
J’en profite pour me remettre en question après quelques déceptions.
Je médite.

Mais la semaine prochaine, je reviens…
Je reviens plein d’une énergie nouvelle, avec le feu qui m’animait à mes débuts.